Histoires vécues
(hier)/Storie vissute (ieri)
Les Rochas du 16 ème au 20 ème siècle Histoire d’une famille du Dauphiné d'Outremont 3- De Millaures à Bardonnèche
Andre Rochas (1650-1698) :
l’installation à Bardonnèche André Rochas épouse en 1676 Anne
Tournour dont les parents résident au hameau des Granges,
au-dessus du bourg de Bardonnèche (40).
En tant que benjamin d’une branche cadette, André a certainement dû se contenter d’un héritage réduit en biens immobiliers : son installation chez sa belle-famille après son mariage en est sûrement la conséquence. Son contrat de mariage (41) n’est guère dissert : Anne Tournour se constitue en dot la totalité de ses biens auxquels sa mère, Catherine Faure, ajoute la moitié de ce qu’elle possède. André Rochas, dont la mère n’est pas citée dans l’acte, donne 36 livres à sa future épouse en donation de survie. A titre de réciprocité et selon les coutumes de l’époque, celle-ci lui fait donation de 18 livres. Ces sommes sont modestes et sans commune mesure avec les constitutions dotales des filles d’Antoine Rochas et Marguerite Allemand à la fin du 16ème siècle. Le couple s’installe dans la maison de Catherine Faure, au hameau des Granges, où les conditions de vie devaient être aussi rudes qu’au Rochas, malgré une altitude un peu moins élevée (1589 mètres). Situé sur le versant nord de la vallée descendant du col du Fréjus jusqu’à Bardonnèche, le village ne bénéficie pas de l’ensoleillement du hameau du Rochas, qui accélère la fonte des neiges et favorise les cultures. Huit enfants voient le jour dans la maison des Granges dont six atteindront l’âge adulte. Le père est déclaré absent pour le baptême de trois d’entre eux : André était sans doute parti peigner le chanvre dans la plaine du Pô, activité hivernale couramment exercée par les paysans du Briançonnais à cette époque. Un registre de révision du parcellaire de Bardonnèche (42) a permis de localiser plus précisément l’habitation de Catherine Faure dans le hameau. Le registre énumère les fonds dotaux de Catherine Faure qui comprennent un bastiment contenant 26 thoises tenant bastiment de Benoict Gillibert dessous, le chemin dessus et midi, terre de Maître Claude de Névache à bize. Ce bâtiment, situé en la montagne des Granges, est à nouveau cité dans un registre des tailles de la même époque (43). Il n’a malheureusement pas été possible de le localiser physiquement : malgré plusieurs réhabilitations intervenues ces dernières années, la majeure partie du hameau est aujourd’hui en ruine. La maison de Catherine Faure, qui a peut-être connu ce sort, est restée jusqu’à la fin du 19ème siècle le domicile de la famille Rochas ; Jean-Simon Tournour et son épouse n’ont, semble-t-il, pas laissé de fils qui aurait pu en hériter. Signature d’André Rochas (1650-1698) au bas d’un acte d’achat d’une pièce de pré, le 7 juin 1677 (Archives d’Etat de Turin, minutes de Maître Jean Agnès, notaire à Bardonnèche). Catherine Faure décède en 1683, à
l’âge de 60 ans, dans des conditions mystérieuses. Le curé
de Bardonnèche note dans les registres paroissiaux que son
corps a été retrouvé dans le bois appellé de Lissart
du costé de Rochemolles où elle se précipita le vint
& quatrième juillet descendant des Horres audit lieu
(44).
A cette époque, le verbe « se précipiter »
évoque un suicide. Mais sa mort était peut-être suspecte
car le curé précise qu’elle a été enterrée le 3 octobre
par ordonnance de la justice.
Son gendre André Rochas décède brutalement quinze ans plus tard, alors qu’il n’a pas 50 ans. Anne Tournour se retrouve seule pour élever leurs six enfants, dont notre ancêtre Sébastien né en 1680. Elle décède à son tour en 1728, à l’âge de 78 ans. La descendance d’André Rochas aux Granges Nous savons peu de choses de son
fils aîné Sébastien (1680-1739). Marié tardivement, à
l’âge de 38 ans, avec Jeanne Reuil (45),
native de Millaures, il n’a pas été possible à ce jour
de retrouver leur contrat de mariage qui nous aurait
apporté des précisions intéressantes. Des six enfants
d’André Rochas et Anne Tournour, il est le seul à
laisser une postérité masculine. Les Rochas apparaissant
dans les registres paroissiaux de Bardonnèche aux 18ème
et 19ème siècles sont tous ses descendants.
Signature de Sébastien Rochas (1680-1739) au bas de l’acte de baptêmede son fils Jean-Baptiste,le 3 septembre 1719 (Archives paroissiales de Bardonnèche). Lors de son mariage, le 17 mai 1718, Sébastien déclare ne pas savoir signer. Sébastien Rochas décède en novembre
1739, à l’approche de ses 60 ans. Le curé de Bardonnèche
relate sa disparition en ces termes : décédé à Mont
Usel [ou Asel] près de Verruë, inhumé dans le
cimetière de ladite paroisse ainsi que me l’a affirmé
Jean Rochas son frère qui en a été témoin et qu’il
conte par le certificat qu’il m’a apporté du curé
dudit lieu. Verruë est l’actuelle Verrua Savoia, à
50 kilomètres à l’est de Turin. Les registres
paroissiaux de cette paroisse contiennent bien l’acte de
sépulture de Sébastien Rochas, qui précise qu’il est
décédé subitement. Que faisait-il avec son frère aussi
loin de leur domicile ? Comme leur père avant eux,
ils faisaient sans doute partie de ces paysans des Alpes
qui peignaient le chanvre dans la plaine du Pô pendant
la longue saison d’hiver.
Le fils aîné de Sébastien, Jean-Baptiste Rochas (1719-1780), nous a laissé davantage d’informations. Marié en février 1745 avec Marguerite Francou (1719-1790) (46), issue de familles établies à Bardonnèche depuis de nombreuses générations, son contrat de mariage apporte des précisions intéressantes. La dot de Marguerite est constituée des biens légués par son père dans son dernier testament : Alexis Francou a laissé le choix à son fils Michel, héritier universel, de verser 100 livres à sa sœur ou de lui céder l’équivalent en fondz de terre ou immeubles. Michel Francou a finalement opté pour cette dernière solution, en donnant à sa sœur Marguerite 1613 toises (47) constituées pour l’essentiel de prés. Alexis a également légué à sa fille un trossel comprenant un coffre bois blanc ou quatre livres en deniers au choix de sondit frère, une couverte flassa, un inceul de courtine, deux linceuls de lit toile grossière de pays, deux serviettes, une nappe de table, deux poules, deux brebis, deux agneaux, un chauderon pesant trois livres avec ses ferremens, dix livres de Piémont en place d'une génisse ou vache et en outre tous les habits, linges & nippes de la future espouse. A ces biens paternels, la mère de l’épouse, Marguerite Mouthoux, ajoute une pièce de terre de 273 toises (48) évaluée à 55 livres. La dot de Marguerite Francou est modeste et les donations de survie entre époux à l’avenant : Jean-Baptiste Rochas donne 40 livres à sa future épouse et Marguerite 20 livres à titre de réciprocité. Ces donations sont à peine supérieures à celles d’André Rochas et Anne Tournour, les grands-parents de Jean-Baptiste, lors de leur mariage en 1676. La « fortune » de la famille Rochas n’a donc guère progressé depuis cette date… Signature de Jean-Baptiste Rochas (1719-1780) au bas de l’acte de sépulture de son père, en novembre 1739 (Archives paroissiales de Bardonnèche, registres paroissiaux) Cette position sociale médiocre est
confirmée par un acte de partage très instructif établi
quelques semaines avant le mariage de Jean-Baptiste (49).
La famille Rochas comprend alors cinq membres, sans
compter Jeanne Reuil, la veuve de Sébastien Rochas, qui
n’est pas citée dans l’acte : Jean et Marie Rochas,
célibataires respectivement âgés de 55 et 50 ans, derniers
enfants survivants d’André Rochas et Anne Tournour ;
Jean-Baptiste, André et Simon Rochas, fils de Sébastien et
petits-fils d’André. Les cinq Rochas, ayans jusques à
présent resté en mesnage ensemble et en communion de
biens et désirans à l’avenir demeurer séparément &
jouir le chacun de la portion qui luy doit provenir tant
des biens des successions desdits André Rochas &
Anne Tournour que des biens qu’ilz peuvent avoir acquis
durant leurdite communion, décident de procéder à un
partage général.
La superficie totale des propriétés foncières de la famille Rochas représente 14 977 toises, soit 6,26 hectares. Ces biens sont répartis en trois lots de valeur égale mais de superficie différente : Jean Rochas obtient 19 parcelles représentant 1,78 hectares et sa sœur Marie 21 parcelles pour 1,87 hectares, 0,61 hectares restant en indivision. La part revenant aux trois fils de Sébastien Rochas est plus importante (2 hectares) mais elle regroupe sans doute des parcelles (22) d’une qualité et d’un rendement inférieurs. Outre la modicité des surfaces, ce qui frappe le plus à la lecture de ce partage, c’est l’extrême morcellement des parcelles dont l’accès et le rendement sont de surcroît affectés par un relief souvent accidenté. Malgré ce morcellement, les co-partageants n’hésitent pas à diviser à nouveau leurs terres pour parvenir à une répartition équitable. La grande majorité des familles procédait ainsi sous l’Ancien Régime, en répartissant des biens parfois très modestes entre leurs nombreux rejetons. Ce phénomène sera à l’origine des opérations de remembrement menées au 20ème siècle pour reconstituer des propriétés agricoles dignes de ce nom. Vernets :
lieux où poussent des vergnes.
Herme : lieux incultes, friches où alternent les pâtures et les défrichements temporaires. En dehors des biens fonciers, les autres possessions de la famille Rochas sont limitées : le seul immeuble mentionné dans le partage est le maisonnement hérité de Catherine Faure, contenant cuisine, cellier, deux chambres, grange & estable, tenant au bâtiment d'Antoine Gillibert au levant, terre de Monsieur des Geneys avocat à bize, le chemin ou rue publique dessus. La description des confins de la propriété est très proche de celle mentionnée dans les registres de taille et de révision du parcellaire antérieurs à 1671. La partie dédiée à l’habitation, limitée à une cuisine, un cellier et deux chambres, est réduite et peu propice à l’intimité de ses occupants. La vie au quotidien ne devait pas toujours être facile… Les co-partageants décident de maintenir en indivision le seul immeuble en leur possession, ainsi que deux pièces de bois et de pâturage d’une surface plus importante que les parcelles déjà partagées. Enfin, ils se répartissent en trois parts égales les meubles, bêtes, denrées, fourrages, papiers et titres, sans que l’acte de partage ne donne plus de détail sur leur composition. Jean-Baptiste Rochas et ses deux frères récupèrent donc 3,78 hectares de prés, terres et bois morcellés en une vingtaine de parcelles assez hétéroclites. Les deux cadets s’étant mariés à la suite de Jean-Baptiste, les trois frères ont vraisemblablement procédé à un nouveau partage de leurs maigres biens. Jean-Baptiste, l’aîné, a dû conserver le maisonnement hérité de Catherine Faure, qu’il a sans doute transmis à son fils Claude. Il décède en 1780, à l’âge de 61 ans. Son épouse Marguerite Francou lui survit jusqu’en décembre 1790. De leurs sept enfants, seul Claude Rochas, né en 1760, semble avoir laissé une descendance. Il se marie en 1788 (50) avec Marguerite Ponchier (1765-1827) (51), également native de Bardonnèche. Leur contrat de mariage confirme la situation financière fragile de la famille Rochas à la fin du 18ème siècle. Marguerite se constitue en dot l’ensemble des biens légués par ses parents, tous deux décédés avant le mariage. Ces biens comprennent quelques terres, estimées à 400 livres de Piémont (soit 480 livres tournois françaises), ainsi que des meubles, du bétail et du linge évalués à 100 livres. Le bétail se limite à deux brebis, deux agneaux et une génisse que ses frères ont préféré conserver en échange du versement de dix livres. Sans être complètement négligeable, la dot de Marguerite n’en reste pas moins modeste. La position sociale médiocre des Rochas se traduit donc par des alliances avec des familles guère plus argentées. Entre la dot constituée à leurs six filles par Antoine Rochas et Marguerite Allemand à la fin du 16ème siècle (300 livres chacune) et celle de Marguerite Ponchier, les deux siècles qui se sont écoulés n’ont pas favorisé leur ascension sociale. Un registre de consignation des personnes & bestiaux datant de 1794 (52) confirme cette situation modeste car leur bétail se limite à un âne ! Les cousins germains de Claude, André (1766-1832) et Georges (1755-1805) Rochas sont un peu mieux lotis : ils possèdent chacun deux vaches, un bœuf (ou veau), cinq brebis et chèvres, quatre chevreaux (neuf pour André) et un mulet. Les propriétaires les plus fortunés ne possèdent néanmoins pas plus de cinq à six vaches. Il semble que le point bas des difficultés financières de la famille Rochas ait été atteint entre la fin du 18ème siècle et le début du 19ème siècle. Signature de Claude
Rochas (1760-1825) au bas de l’acte de baptême de son
fils Alexis, Alexis Rochas (1790-1859) : l’installation au bourg de Bardonnèche La vie familiale de Claude et Marguerite a été marquée par plusieurs deuils : parmi leurs neuf enfants, quatre sont morts à la naissance ou en bas âge. Trois de leurs fils se sont mariés et ont laissé une descendance à Bardonnèche : Alexis, Hippolyte et Théophile. Claude Rochas est décédé en septembre 1825 et sa femme lui a survécu jusqu’en avril 1827 : sur le registre paroissial, le curé indique qu’elle a été inhumée avec les honneurs funèbres usités pour les chefs de familles et les confrères de la confrérie du présent lieu, une formule inhabituelle pour une femme à cette époque. Après le décès de son frère Joseph (1788-1794), Alexis Rochas, né en 1790, devient l’aîné des enfants de Claude et Marguerite (53). Peu de renseignements le concernant sont parvenus jusqu’à nous. En se mariant avec Elisabeth Pascal (54) en 1813, il s’allie avec des familles de Bardonnèche qui occupent une position sociale plus élevée sans pour autant appartenir à la bourgeoisie, peu nombreuse dans les vallées cédées. Elisabeth, qui est de 8 ans son aînée, est la petite-fille de Gabriel Pascal (1684-1772), consul de la communauté de Bardonnèche, et l’arrière-petite-fille de Suzanne des Ambrois (1685-1749), issue de l’une des rares familles nobles du Briançonnais : par son père, Suzanne descend des maisons les plus illustres du duché de Savoie, qu’il s’agisse des Mareschal, Montfalcon, Chevron-Villette, Arvillard, Mouxy et même des comtes de Savoie. Par sa mère, elle est issue de la bourgeoisie d’Oulx dont les membres occupent à tour de rôle les principales fonctions publiques de la communauté, à commencer par celles de consul. Notre propos n’est pas d’étudier l’histoire de ces familles mais de montrer qu’en contractant cette alliance, Alexis a amélioré sa propre position sociale. Cette évolution n’apparaît pas forcément dans les registres d’état-civil : comme beaucoup de ses contemporains, il est indifféremment qualifié de propriétaire ou de cultivateur – voire de cordonnier dans un acte notarié. Elisabeth Pascal et Alexis Rochas décèdent à trois mois d’intervalle, en juillet et octobre 1859. Ils laissent quatre fils, Joseph, Jean, Valentin et Antoine :
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