Histoires vécues (hier)/Storie vissute (ieri)


 

Les Rochas du 16 ème au 20 ème siecle
Histoire d’une famille du Dauphiné d'Outremont




INTRODUCTION ET SOMMAIRE

Cette monographie présente l’histoire de la famille Rochas, originaire de Millaures dans l’ancien escarton d’Oulx, du Moyen-Age à nos jours. En s’appuyant sur de nombreuses sources d’archives, elle relate, en traversant les siècles, l’histoire de Michel Rochas (16ème siècle) et de ses descendants jusqu’à Joseph Rochas (1814-1903). Elle s’efforce d’apporter le plus de précisions possible sur leur vie quotidienne, en s’attachant aux anecdotes et aux détails parfois amusants révélés par les actes anciens.

Sans négliger l’environnement politique, économique et social dans lequel ont vécu les générations successives de la famille Rochas, cette monographie ne relate que les événements historiques utiles à la compréhension du récit, notamment ceux en lien avec l’ancien escarton d’Oulx.
Tous les ouvrages et les sources d’archives utilisés pour rédiger la présente monographie sont cités en notes de bas de page. Les tableaux généalogiques utiles à la compréhension des filiations sont insérés entre les différents chapitres. Les transcriptions de textes anciens sont consultables à la fin du récit.

1- GENESE D’UN PATRONYME EN BRIANÇONNAIS
2- NAISSANCE D’UNE FAMILLE
3- DE MILLAURES A BARDONNÈCHE
























1- GENESE D’UN PATRONYME EN BRIANÇONNAIS



Etymologie : un patronyme pré-celtique
L’étymologie des patronymes est intimement liée à l’histoire des hommes qui, pour la première fois, les ont portés. Sans posséder de solides compétences en onomastique, il est possible de reconnaître des noms évoquant l’apparence ou le caractère d’un individu, ses croyances, sa position sociale ou son métier et, bien sûr, son origine géographique. Certains noms de cours d’eau, de montagnes ou de localités ne s’expliquent ni pas le celte (gaulois), ni par le latin, ni par des apports germaniques. Leurs racines appartiennent à des langues pré-celtiques aujourd’hui disparues, à l’exception du basque. Parmi les noms de localités, le pré-celtique rok, "rocher" (lieu-dit anciennement caractérisé par un rocher, une pierre importante), a donné le latin roccas, "roche", puis le vieux français roche, roiche, rok. Plusieurs noms de hameaux et de lieux-dits en sont issus (1).

Ces patronymes formés à partir de noms de lieux se répartissent en deux grandes catégories :
- les patronymes-toponymes calqués sur le nom d’un lieu précisément identifié (un pays, une province, une ville, un fleuve, une montagne…).
- les patronymes-toponymes évoquant une configuration géographique susceptible d’être observée en plusieurs endroits (un terrain raviné, une arrête rocheuse, une plaine, un col…).

C’est à cette deuxième catégorie que le toponyme-souche Roche et ses nombreux dérivés doivent être rattachés. Rochas s’est formé par l’ajout du suffixe augmentatif -as au toponyme-souche. Il évoque à la fois l’élément minéral et l’idée de hauteur envisagée d’un point de vue dynamique – c’est-à-dire par rapport à un autre point géographique. En d’autres termes, « le Rochas » est l’endroit qui surplombe, depuis une éminence rocheuse, un village ou une vallée. Aussi n’est-il guère étonnant de trouver les principaux foyers d’implantation de ce patronyme dans les Alpes, notamment dans le massif du Vercors.

Du nom de localité au nom de famille, la translation s’est opérée sans difficulté : après avoir désigné un lieu-dit, le toponyme Rochas s’est naturellement appliqué à ses premiers habitants. Puis il s’est transmis de génération en génération.

Rochas ne doit pas être confondu avec son faux ami Rochat, bien qu’ils soient tous deux dérivés de Roche. Si leur orthographe est proche, leur étymologie est différente : le suffixe -at est en effet un diminutif, que l’on retrouve accolé à de nombreuses racines patronymiques.


Implantation geographique : un patronyme alpin
Le site https://www.filae.com/nom-de-famille/ apporte une aide précieuse pour étudier l’implantation des noms de famille en France. Sa consultation permet de recenser, par département, le nombre de naissances intervenues pour chaque patronyme entre 1891 et 1990. Avec 1 915 naissances sur cette période, Rochas se classe dans la fourchette basse des 1,5 % des patronymes les plus portés en France (2).

Sur la période 1891-1915, 68% des Rochas sont nés dans l’ancienne principauté du Dauphiné et 36% dans le seul département de l’Isère. Les autres naissances se situent essentiellement sur la Côte d’Azur (Bouches-du-Rhône, Var et Alpes-Maritimes) et dans les grandes villes. Cette concentration dauphinoise s’amoindrit dans les périodes suivantes : entre 1966 et 1990, seuls 46% des Rochas ont vu le jour dans l’ancienne principauté et 28% en Isère, conséquence du mouvement d’exode rural de l’après-guerre. Mais le tropisme contemporain exercé par Paris et les capitales régionales ne doit pas faire illusion : c’est bien en Dauphiné que l’origine du patronyme Rochas doit être recherchée (3).

A l’échelle régionale, l’implantation du patronyme apparaît étroitement liée à son étymologie : tous les foyers de peuplement sont localisés dans les Alpes du Nord (Champsaur, Briançonnais) avec pour épicentre le massif du Vercors. L’ancienneté de son implantation y est attestée par l’existence de deux hameaux les Rochas, l’un dans la commune de Saint-Agnan, l’autre dans celle de La Chapelle-en-Vercors (4). Le premier, accroché au flanc de la montagne à 794 mètres d’altitude, surplombe légèrement la vallée du Vernaison. Le deuxième occupe également une position dominante (830 mètres) au-dessus de la route qui relie La Chapelle aux Baraques-en-Vercors.

Les Rochas qui sont évoqués dans les pages suivantes ne sont originaires ni du Vercors, ni du Champsaur mais du Briançonnais. L’origine de tous ces Rochas est-elle commune ? La proximité géographique des différents foyers de peuplement peut laisser le supposer mais l’étymologie du patronyme fragilise cette hypothèse. En effet, avant de devenir un toponyme puis un patronyme, le terme Rochas a vraisemblablement été employé comme nom commun pour désigner la configuration géographique évoquée ci-dessus. Dès lors, rien n’empêchait qu’un même terme désignât deux configurations semblables en des endroits différents – par exemple dans le massif du Vercors et en Briançonnais. Cette hypothèse est d’autant plus vraisemblable que la langue commune à ces contrées était le franco-provençal.

L’origine des Rochas ne doit donc pas être recherchée exclusivement dans le Vercors, même s’il s’agit du principal foyer d’implantation.


Les Rochas dans l’ancien Escarton d’Oulx
Aucune recherche n’a encore permis de dater avec précision l’apparition du patronyme Rochas en Briançonnais, même si sa présence multiséculaire est attestée dans plusieurs localités de l’ancien escarton d’Oulx. Des investigations rapides ont cependant révélé quelques pièces d’archives intéressantes.

A Névache, le patronyme est cité dès le milieu du 15ème siècle, comme le révèle une enquête menée en juillet 1446 à la demande du Dauphin Louis II : suite à la rébellion des habitants de Névache contre leurs seigneurs, ces derniers en ont appelé au Dauphin pour ramener la population à la raison. Le compte-rendu de l’enquête menée par les commissaires delphinaux mentionne plusieurs habitants dénommés Vincent dit Rochas. S’il n’apparaît alors que sous la forme d’un surnom, Rochas s’imposera assez vite comme un patronyme à part entière pour devenir l’un des noms de famille les plus répandus à Névache. Aujourd’hui encore, de nombreuses tombes portant ce patronyme sont visibles dans le cimetière du village.

Le document le plus ancien attestant la présence des Rochas dans les vallées cédées (5) est un registre des comptes de Bardonnèche et de Césane daté du 24 juin 1336 (6). Ce manuscrit mentionne à deux reprises des Rochas, aux côtés de personnes portant des patronymes typiques de Millaures : Johannes Rochaz et Petrus Rochaz. En 1383, le registre de la révision générale des feux du Dauphiné confirme la présence des Rochas à Millaures. Ce document énumère les noms des chefs de famille pour chaque judicature et donne l’impression qu’un sous-classement par communauté a plus ou moins été opéré : pour la judicature de Bardonnèche, les noms concernant la communauté de Millaures semblent en effet regroupés au même endroit et un Johannes Rochacii y apparaît.

Ces Rochas mentionnés dans un registre des comptes de 1336 puis dans la révision des feux de 1383 sont-ils les ancêtres communs de tous les Rochas des vallées cédées et du Briançonnais ? Rien ne le prouve. Mais la présence du nom à Millaures au 14ème siècle et son absence dans les communautés voisines à cette période accréditent cette hypothèse à double titre : d’une part, elles confirment l’ancienneté du patronyme dans les vallées cédées, rendant plus qu’improbable l’idée d’une origine hallogène – de type Vercors. D’autre part, elles restreignent l’implantation originelle des Rochas au territoire de Millaures et sans doute au petit hameau du même nom.

La présence du patronyme Rochas dans les communautés voisines et dans les autres vallées de l’escarton d’Oulx semble, en effet, plus récente. En dehors de Millaures, c’est à Royères (7) que l’on retrouve les Rochas les plus anciens, grâce au registre de la confrérie Saint-Hippolyte de Bardonnèche qui mentionne la liste de tous les confrères depuis sa création en 1458 (8). Le premier Rochas cité est Anthonius Rochassi de Royères, reçu dans la confrérie le jour de la Saint Hippolyte 1499. Quinze autres Rochas (9) sont cités jusqu’en 1595, la plupart étant originaires de Royères même si leur domicile n’est pas toujours précisé. Après cette date, le patronyme n’apparaît plus dans le registre de la confrérie. On trouve également des Rochas à Oulx dès le 17ème siècle, dont certains sont originaires de Puy (hameau de Beaulard).
L’hypothèse retenue dans cette monographie fait de Millaures le lieu d’origine de tous les Rochas des vallées cédées. Le petit hameau du même nom, situé à 1694 mètres d’altitude, présente une configuration géographique bien particulière qui accrédite cette idée : que l’on accède au Rochas par la route récemment goudronnée ou par l’ancien chemin qui traverse les hameaux de Millaures, on est frappé par la grosse masse rocheuse, presque verticale, qui surplombe la vallée et sur laquelle s’appuie l’une des maisons. De cette habitation perchée sur le rocher, la vue sur les montagnes environnantes est imprenable. On ne peut s’empêcher de penser que cette particularité géographique a donné son nom au hameau (10) mais aussi à ses premiers habitants. De là, plusieurs Rochas ont pu essaimer dans les paroisses de la vallée, soit à proximité de Millaures – comme pour les Rochas de Royères – soit plus en aval de la Doire Ripaire – par exemple à Oulx.


Les premiers Rochas a Millaures
Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, les premiers représentants de cette famille identifiés à Millaures sont Jean et Pierre Rochas en 1336 puis Jean Rochas en 1383. Ce sont très vraisemblablement les ancêtres de tous les Rochas cités dans cette monographie.

Après 1383, il faut attendre le milieu du siècle suivant pour découvrir de nouveaux documents mentionnant la famille Rochas. Le plus ancien est un registre de reconnaissances passées au profit des seigneurs de Bardonnèche par des habitants de la vallée de la Doire Ripaire : le 14 décembre 1461, Joffredi Rochaci (Joffrey Rochas) reconnaît exploiter des biens appartenant à l’un de ces seigneurs. Trois jours plus tard, Galvagni Rochaci (Gauvaing Rochas) fait de même. Dans les deux cas, les actes mentionnent des terres situées au hameau du Rochas. Et contrairement aux documents de 1336 et 1383, le registre de reconnaissances indique clairement que Joffrey et Gauvaing Rochas résident à Millaures (11).

Les Archives départementales de l’Isère conservent également un document fiscal du 15ème siècle (12) qui confirme la présence des Rochas dans le carterium de Millauris ("quartier" de Millaures). Ce document énumère pour chaque quartier de la châtellenie de Bardonnèche les contribuables imposés pour l’année 1482. Deux familles Rochas sont citées : d’une part, Guigo, Petrus et Johannes Rochacii fratres (Guigues, Pierre et Jean Rochas frères) ; d’autre part, Franciscus filius quondam Gualvagni Rochacii (François fils de feu Gauvaing Rochas).

Ces deux documents, s’ils confirment l’ancienneté de l’implantation des Rochas dans le hameau homonyme à Millaures, ne permettent pas d’établir une filiation précise. Cet exercice n’est possible qu’à partir du milieu du 16ème siècle, grâce à la multiplication des sources d’archives.

Benoît et Guy Rochas








2- NAISSANCE D’UNE FAMILLE
3- DE MILLAURES A BARDONNÈCHE









Home