Histoire et diplomatie/Storia e diplomazia


Mémoire concernant les frontières de
France, Savoie, Piémont
pour servir d'instruction
tant pour le campement des armées que pour les faire manoeuvrer
(par de La Blottière)




Projet d'attaque
    Je suppose que l'armée du Roy fut composée de soixante bataillons et de cinquante escadrons (500 hommes par bataillon, et 200 hommes par escadron (note de l'éditeur)) faisant en tout quarante mille hommes effectifs et que celle des ennemys ne fut que de vingt-cinq mille il faudrait commencer par s'emparer du fort d'Exilles qui ne coûterait guère, cette place qui peut au plus contenir quatre cents hommes a esté par trois fois assiégée et prise par le même endroit sans avoir été obligé d'ouvrir la tranchée. En 1604 les Espagnols s'en emparèrent. L'année suivante, 1605, le Connestable de Lesdiguières la reprit. En 1708, le roy de Sardaigne s'en empara aussi comme il a déjà été dit.
     Il y a à 150 toises de ce fort au plateau nommé, la Monta, proche le village de Scels où l'on peut facilement établir des batteries et c'est dans cet endroit où on les a toujours dressées. On y arrive du côté du village de Scels par un fond rempli de gros arbres châtaigniers qui n'est point vu de la place, et supposant qu'on voulut faire quelque ouvrage sur le plateau de Monta il y en a d'autres au-dessus par amphithéâtre d'où on pouvait battre l'ouvrage et le fort; ces raisons ont sans doute déterminé le roy de Sardaigne à ne point faire fortifier le plateau de la Monta.
     On peut arriver à Exilles par trois endroits, scavoir:
     Partant de Briançon, traversant le Montgenèvre pour aller à Cézanne, de là on peut prendre deux routes, l'une passant dans la vallée de Pragelas, se soutenant sur les hauteurs pour tomber au col d'Argueil (col dell' Assietia 2,472 mètres).
     La 2e route c'est de passer à Oulx et à Salbertrand et prendre la gauche pour aller à St-Colomban, traversant la combe de Galambre dans la partie supérieure, et c'est par ce chemin qu'on doit faire passer l'artillerie.
     La 3e route, c'est par le petit Montcenis pour gagner le col de Thoüilles (col della Touilles, 2,128 mètres) et tomber sur Saint-Colomban par où passa en 1711 le détachement que commandoit M. le Marquis de Broglio, duquel j'ai parlé et quoy que le chemin soit rude de ce costé-là, c'est néanmoins celuy qu'il faut préférer ayant toujours les hauteurs sur l'ennemy, mais on ne peut y passer que le Roy ne soit le maître de la Savoye ce qui arrive ordinairement dans nos commencements de guerre, par la facilité qu'il y a d'y entrer du costé de France et au contraire du côté du Piémont, il faut traverser les Alpes qui sont d'un très difficile accès et presque impénétrables aux troupes pendant six mois de l'année à cause des neiges.

     Nous supposons Exilles rendu, il faut après cela faire l'expédition de Suze. La ville n'est fermée que d'une simple muraille, de même que le château on peut s'en emparer quand on veut. La citadelle est a peu près construite et située comme le fort d'Exilles et d'une même capacité pour contenir 400 hommes, elle est inaccessible du costé de la ville au pied de laquelle passe la Doire Suzine; il n'y a qu'une bonne attaque qui est du côté de la Monticule de la Brunette sur laquelle est la redoute de Catinat, elle a esté par trois fois assiégée et prise par ce costé-là dans cinq à six jours de tranchée ouverte. Les troupes du Roy s'en emparèrent en 1691 et en 1704 et le roy de Sardaigne la prit en 1707, qui depuis a fait faire un camp retranché sur la Brunette qui couvre absolument cette citadelle parce qu'il faut avant que de faire le siège obliger les ennemys d'abandonner ce camp, et pour y parvenir il faut mener 15 pièces de canon sur le revers des croupes de montagnes au-dessous de Jaillon (Giaglione) qui ont une grande inspection sur la Brunette. Il faudrait aussi envoyer des carabiniers à Montpantier pour tirer et inquiéter les troupes du camp. Voilà la manœuvre qu'on peut faire pour s'emparer de la Brunette, après quoy on ferait à l'aise le siège de la Citadelle et dès qu'on s'en serait emparé on pourrait par un beau chemin entrer dans la plaine de Piémont, mais il faudrait tenir des postes sur les montagnes et dans la vallée de Suze pour empescher que la communication ne fut inquiétée à cause de la proximité du fort de Fenestrelles qui est dans la vallée de Pragelas et des vallées de St-Martin, de Luzerne, d'Angrogne et de Pérouze où habitent les Barbets ou Vaudois qui sont d'excellentes troupes dans leurs montagnes, et pour prévenir les inconvénients qui pourroient arriver je serois d'avis qu'on s'emparât aussi du fort de Fenestrelles qui seroit une expédition de dix à douze jours, quoyque les ennemys s'en soient emparés dans quatre comme je l'ai desjà dit, sans même avoir ouvert la tranchée, c'est que depuis la redition de cette place, le roy de Sardaigne a fait fortifier le plateau de l'Eguille (l'Assietta) et la montagne de Chagean.

     Pour s'emparer de Fenestrelles, il faudrait commencer par l'investir par postes. Scavoir un à Usseaux, et au col de la Fenestre (col delle Finestre, 2,215 mètres) et Fatière (col di Fattiere, 2,542 mètres), un au col de Lourcière, (col dell' Orsiera, 2,595 mètres) un aux Chambons et un aux cols de Lalbergean (col dell' Albergian, 2,701 mètres). Les troupes estant ainsi disposées on formerait l'attaque pour s'emparer de la redoute de Chagean et des retranchements du plateau de l'Esguille (l'Assietta) Chagean se battrait avec deux pièces de canon et un mortier de dessus un plateau vis-à-vis le petit Fenestrelles et on placerait des carabiniers sur la creste de la montagne de la Balme qui est au dessus de Chagean et sur la même ligne. Les retranchements de l'Esguille (l'Assietta) se battraient avec cinq pièces de canon et deux mortiers qu'on mènerait sur la montagne de la Pinée passant à Usseaux, au passage de Reculfol, au Puy de Fenestrelles et de là sur la droite montagne de la Pinée. Jamais voiture roulante n'a passé par ce chemin mais en le raccommodant, je suis très persuadé qu'on y passeroit assez commodément des pièces de batterie, on pourroit même de la Pinée inquietter la garnison du fort et faire brèche au corps de la place, mais comme il y a 600 toises de distance, on serait longtemps pour la faire c'est pourquoy qu'il faudroit s'emparer du plateau de Chagean où il y a une bonne redoute et de celuy de l'Esguille, estant maîtres de ces deux postes, on s'empareroit du fort de Fenestrelles dans quatre à cinq jours, il faudroit pour cela 10 à 12 pièces de canon en batterie sur le plateau de l'Esguille et 4 mortiers et des carabiniers à Chagean.

     Voicy un grand inconvénient qui pouroit arriver si on estoit dans le dessein de s'emparer de Suze et de Fenestrelles, c'est que les ennemys pourroient former une chaine de troupes par poste d'une place à l'autre dont la distance n'est que de deux lieues. La droite à Suze, et la gauche à Fenestrelles observant de garder le col de Lalbergean (col dell' Albergian, 2,701 mètres) se tenant à cheval sur Fatière (col di Fattiere, 2,542 mètres) et au col de la Fenestre (col delle Finestre, 2,215 mètres), sur lequel il y a une bonne redoute en maçonnerie que les Français y ont construite en 1707; cette position est des meilleures des montagnes, cependant estant comme je l'ai dit supérieurs aux ennemys du Roy, je me persuade qu'on pourroit les débusquer. Il faudroit pour cela partager notre armée en deux corps, l'on se présenterait dans les vallées de Chaumont et de Pragelas en se communiquant par le col des Valettes (col della Vallette, 2,551 mètres) avec quelques pièces de canon pour les inquiéter, l'autre corps d'armée avec beaucoup de cavallerie passeroit par la vallée de Queyras et de St-Pierre pour aller dans la plaine à la hauteur de Saluce, de là à Pignerol et puis dans la vallée de Pérouze et dans celle de Pragelas pour attaquer les ennemys devant et derrière; je ne crois pas qu'ils voulussent s'exposer à se mettre entre deux armées.
     J'ai vu, en 1703, forcer les ennemys par les troupes du roy au Montebaldo et à Pratinouy le long du lac de Garde, frontières du Trentin qui estoient dans les postes aussi difficiles à pénétrer que ceux de Suze à Fenestrelles. Si on voyait qu'on ne put débusquer les ennemys qu'en s'exposant beaucoup de monde ce que je ne crois en manoeuvrant comme je viens de l'expliquer, mais enfin soit pour cela ou pour quel qu'autre raison, on pourait entrer dans la plaine de Piémont par la vallée de Barcelonette traversant et ensuite celle d'Astures (la Stura) par où passa le roy de Sardaigne en 1692 pour faire le siège d'Embrun et par où M. le Comte de Taun a aussi passé en 1710 avec l'armée impériale et piémontaise. On pourroit encore passer par les vallées de Queyras du Château-Dauphin et de St-Pierre, comme M. le Mareschal de Berwick fit avec l'armée du Roy en 1712 pour aller exiger des contributions. L'artillerie se peut voiturer par ces deux routes mais il faudroit beaucoup de troupes pour assurer la communication qui est fort étendue. Je suis toujours d'avis qu'on s'emparât d'Exilles, de Suze et du fort de Fenestrelles, nous aurions par ces vallées une route fort courte et bien assurée, et qui d'ailleurs est la plus commode et la meilleure de toutes les Alpes. Je supose maintenant que l'armée du Roy soit débouchée dans la plaine, soit pour exiger des contributions ou pour faire l'expédition de Turin ou de Coni qui sont les seules places fortifiées qu'il reste au roy de Sardaigne, sans l'une, de ces deux places, l'armée ne pourroit hiverner dans le pays puisque feu M. le Mareschal de Catinat n'a pu y parvenir, quoyque nous eussions Cazal et Pignerol, deux places respectables qui investis soient en partie le Piémont et qu'il eut gagné des batailles, voislà la meilleure raison qu'on peut donner pour persuader qu'on ne pourroit y rester l'hiver avec une armée et pour entrer dans un plus grand détail, c'est qu'il faut traverser plus de trente lieues de hautes montagnes qui souvent sont impraticables pendant l'hiver à cause de la prodigieuse quantité de neige qui tombe dessus. On voit donc qu'il ne seroit pas possible de pourvoir une année de vivres et de munitions, on avoit mème assez de peine pour faire subsister en temps de guerre la garnison de Pignerol et des postes des environs.
     M. le Maréchal de Catinat a toujours eu en vu d'avoir Coni, cette place lui auroit ouvert un passage fort court, passant au col de Tande pour tirer des vivres et munitions de Provence et du Comté de Nice, c'est à quoy on doit faire attention s'il arrivoit que l'armée du Roy put pénétrer en Piémont, on seroit encore mieux si on pouvoit s'emparer de Turin. Je ne vois pas qu'il y ait d'autres manœuvres à faire sur cette frontière, en temps de guerre ayant une armée supérieure à celle des ennemys.

Projet pour la défensive
     Supposons maintenant que l'armée du Roy fut obligée à se tenir sur la défensive qu'elle ne fut composée que de 25 à 30 mille hommes que celle des ennemys fut de 40 mille et que le roy de Sardaigne fut toujours en pocession des vallées au delà du Montgenèvre. On ne peut rien faire de mieux que de manœuvrer comme a fait M. le Maréchal de Berwick pendant les campagnes de 1709, 1710, 1711 et 1712 en occupant les mêmes camps et les mêmes communications et cela suivant les endroits par où les ennemys voudroient déboucher s'ils pénétroient en Savoye, il faudroit occuper le camp de Montmeillan et des Bauges ou celuy de Barraux aux Echelles.
     S'ils vouloient prendre la route du Montgenèvre pour tomber sur Briançon, il faudroit prendre position au camp des Testes, Randouillet, le village de la Vachette et les crestes des montagnes depuis le col de Bartaux, (Col de Barteaux 2.384 mètres) jusqu'au Galibier.
     S'ils tournoient du côsté de la vallée de Queyras, nous camperions au camp de Roux qu'on soutiendrait par les troupes de Briançon.
     S'ils débouchoient dans la vallée de Barcelonnette, il faudroit mettre douze bataillons dans le camp de Tournoux et prendre la même position du camp de Vars qu'on prit en 1710.
     S'ils voulaient tenter de passer encore au col de Tande, pour aller en Provence il leur faudroit une flotte et on pourroit retrancher les endroits gayables sur la rivière du Vars comme on a fait durant la dernière campagne pour s'opposer à leur passage.
     Un général qui n'auroit point de connaissance de cette frontière se trouveroit embarrassé; c'est une guerre de détail et de calcul et pour bien connoistre toutes ces montagnes il faut y avoir fait plusieurs campagnes et essuyé beaucoup de fatigues; cependant j'ose me flatter qu'avec le secours de ces mémoires et les cartes qui y ont rapport on la doit connoistre en peu de temps.

     Il y a une chose de conséquence à remarquer sur cette frontière, qu'il est beaucoup plus facile à une armée de pénétrer de Piémont en France que de France en Piémont et voicy la raison. Lorsque les Français sont en guerre contre les Piémontais et que les premiers sont obligés à se tenir sur la défensive, la droite de l'armée doit estre appuyée à la rivière de Vars frontière du comté de Nice et la gauche au lac de Genève dont la distance est plus de 60 lieues. Cette frontière forme une portion de cercle, le Piémont en fait la corde et Turin le centre. Quant l'armée ennemye est campée aux environs de Turin et quelle veut déboucher en Provence, Savoye ou Dauphiné, elle se trouve dans quatre marches sur la limite des deux Etats et l'armée de France occupant un grand pays ne peut y estre point surpris, il est absolument nécessaire que le général se tienne à Briançon avec la plus grosse partie de son armée comme estant à peu près le milieu de la chaine et à 18 lieues de Turin. Les ennemys ne peuvent décamper des environs de Turin, qu'on n'en soit averti à Briançon dans l'espace de vingt heures, nous en avons des expériences par plusieurs affidés que j'avais le soin d'employer et de bien payer, il y avait entre autres un curé, homme d'esprit qui nous a bien servi pendant les deux dernières campagnes.

     Briançon est une petite ville mal fortifiée, dans laquelle il y a environ cent trente maisons et comme elle est située très avantageusement, Messieurs les Généraux commandant les armées et les ingénieurs ont jugé à propos de couvrir cette place par un camp retranché qu'on a établi sur la montagne des Testes et du Randouillet et par la bonne redoute de Salette. Ce camp est respectable et pouvant ètre gardé de même que la ville et les postes des environs par 12 bataillons qui ne pourroient y estre forcés par 40 et une grande précaution pour s'en emparer. Il seroit à souhaiter pour le bien du service qu'on fit une bonne place de guerre comme on l'a plusieurs fois proposé à la place de ce camp, qui n'est retranché qu'avec du fascinage qui, dans peu de temps est pourry à cause des neiges. Il n'y a aucune position sur cette frontière si importante que l'est celle-là et particulièrement depuis que nous n'avons plus Exilles et Fenestrelles.
     Si l'ennemy s'emparoit de Briançon qui n'est qu'à une lieue et demie des Etats du roy de Sardaigne, il lui seroit facile de le garder, ce qu'il ne pourroit faire des autres places de la frontière desquelles je ferai la description en particulier qui sont: Antibes, Toulon, Colmars, Guillaume, Entrevaux, Marseille, Seyne, Saint-Vincent, Embrun, Montdauphin, Le Chateau de Queyras, Grenoble, le fort de Barraux et le fortin de L'Ecluse parce qu'on pourroit les reprendre pendant l'hiver sans que le roy de Sardaigne pût y porter du secours, vu que les montagnes sont trop chargées de neiges pour y arriver du costé de Piémont mais pour Briançon qui est au pied du Montgenèvre, il luy serait aisé de le garder et impossible aux troupes du Roy d'en faire l'expédition pendant l'hiver, le chemin depuis le village de la Becey (la Bessèe) proche de Pertus Rostans jusqu'à Briançon est si chargé de neige pendant quatre mois qu'on ne peut absolument y faire passer aucune voiture roulante, il y en a une si grande abondance autour de cette place que les approches en sont impraticables.
     Voici les avantages que les ennemys du Roy pourroient tirer de Briançon s'ils en estoient en possession; ils pourroient avec facilité y assembler leur armée et aux environs et seroient libres de déboucher par divers endroits. Savoir:
     De Briançon pour aller en Savoye passant au col du Galibier pour tomber à Bonnenuit, à Valoire, à Saint Jean de Morienne, Montmeillan et Barraux.
     De Briançon à Grenoble passant le Lautaret, le Mont de Lens, au Bourg d'Oysan et à Vizille.
     De Briançon en Provence et dans le bas Dauphiné passant sous le Mont Dauphin, sous Embrun et à Savines qui est le chemin des voitures roulantes.
     Il est à remarquer que si l'ennemy étoit en force il pourroit faire ce que je viens d'expliquer pour tirer de grosses contributions et même des expéditions de plus de conséquence; et si l'armée du Roy vouloit s'y opposer il lui seroit difficile il faudroit la séparer en deux corps, l'un campé aux environs du Bourg d'Oysan et l'autre du côsté du Mont Dauphin et ces deux armées ne pourroient avoir aucune communication qu'en faisant plus de quinze grandes lieues, à cause que la chesne de montagne depuis le col de l'Echauda vis-à-vis le Monestier jusqu'au Bourg d'Oisans est absolument inaccessible à cause des glaciers qui doivent y êstre depuis le déluge. Je ne vois même pas comme nous pourrions reprendre Briançon si nous avions 40.000 hommes et les ennemis seulement 25.000, ils pourroient former un beau camp par poste en occupant le Galibier, le Monnestier, le col de l'Echauda qui va tomber à Vallouise et Pertus Rostans qui est à l'embouchure de Vallouise où il y a un camp retranché qui a été fait par le connétable de Lesdiguières, où il y a encore de la maçonnerie qui existe. Il falloit qu'il connut l'importance de Briançon, puisque ce camp n'a été a mon avis fait qu'à dessein de couvrir cette place du costé de la grande route et peut estre a-t-il occupé la chaîne de laquelle je parle, lorsqu'il y avoit des guerres civiles en Dauphiné. On peut voir sur la carte et par l'explication que je fais que cette ligne seroit presque impénétrable si elle estait gardée en force, et pour prévenir ces accidents il faudroit établir la mêsme chaine que nous avions les dernières campagnes, depuis le camps de Tournoux, vallée de Barcelonnette jusqu'à Montmeillan en Savoye; cette ligne a 26 lieues de longueur et comme tout le haut Dauphiné et la haute Provence.
     Tant que le roy de Sardaigne sera en possession des vallées au delà du Montgenèvre, on ne peut trouver sur cette frontière de meilleure position, l'on tient des troupes par échellon bien postées en passant de Montmeillan à Argentine, à Saint Jean de Morienne, au col du Galibier, au Monestier, au col d'Hizoüart sur lequel il y a deux redoutes en maçonnerie; avant que d'arriver au col d'Hizoüart on passe à Briançon où doit être, comme il a été dit, le gros de l'armée et la résidence du général. Du col d'Hizoüart au camp de Roux, qui est situé de manière qu'il empêche que les ennemys ne puissent s'emparer de la vallée et du château de Queyras, ce qui nous incommoderoit beaucoup dans la communication de Briançon à Montdauphin et de là dans la vallée de Barcelonnette. Du camp de Roux on va à Montdauphin, à Guillestre, à Vars, à Guillestre, à Vars et au camp de Tournoux. On peut de Briançon aller dans la vallée de Barcelonnette sans passer dans celle de Queyras suivant la rivière de Durance jusqu'au Mont Dauphin, c'est la route ordinaire et personne ne s'avise à passer dans la vallée de Queyras. C'est le plus long de plus de deux lieues et très mauvais chemin, mais en temps de guerre on doit suivre la ligne où sont les troupes, et c'est sur cela que je fais mon calcul.
    J'ai expliqué ci-dessus la distance qu'il y a du camp de Tournoux à Montmeillan qui est de 26 lieues.
Savoir: Du camp de Tournoux à Briançon 9,
cy
9

De Briançon à Montmeillan 17, cy
17


total
26 lieues
Voici maintenant les détails par heure qui est la bonne manière de compter dans les montagnes.
Du camp de Toumoux à celui de Roux,
10 heures,
cy
10 h
Du camp de Roux à Briançon,
6 heures, cy
 6 h
De Briançon sur le col du Galibier,
8 heures, cy
 8 h
Du Galibier à St Jean de Morienne,
8 heures, cy
 8 h
De Saint-Jean-de-Morienne à Montmeillan,
8 heures, ct
 9 h


total
41 h
Le total est de 41 heures qu'il faut d'un pas réglé pour aller du camp de Tournoux à Montmeillian ce que les troupes pourroient dans un besoin faire dans quatre jours. On peut aussi, du camp de Tournoux, aller à Toulon et dans la basse Provence par un chemin fort court passant au col de la Cestriére (passage à l'ouest du col de Valgelaye), à Colmars et à Castelanes, c'est par ce chemin où plusieurs régiments d'infanterie passèrent en 1707 pour aller au secours de Toulon et pour s'en revenir. Pendant le cours des deux dernières guerres le roy de Sardaigne a par trois fois pénétrer sur les frontières de France avec son armée jointe à celle de ses alliés.
En 1692 il prit Embrun.
En 1707 il leva le siège devant Toulon.
En 1708 il s'empara d'Exilles et de Fenestrelles.
En 1692 l'armée des alliés estoit d'environ 40,000 hommes et celle du Roy n'estoit que de 20,000; leur dessein estoit de reprendre Suze pour couper la communication de Pignerol, M. le Maréchal de Catinat qui en connaissoit la conséquence se tint toujours perché au col de la Fenestre (col delle Finestre), à Lourciere (col dell'Orsiera), à Lalbergean, (col dell' Albergian) et au défilé de Fenestrelles; le roy de Sardaigne voyant qu'il ne pouvoit pas le débusquer, il fit brûler tous les villages des vallées de Pragelas et de Pérouze, jusque près de Pignerol à compter depuis les Chambans et se détermina à aller à Embrun.
     M. le Maréchal de Catinat ayant remarqué que le défilé de Fenestrelles estoit un poste important, il proposa à la cour d'y construire un fort, ce qui commença à s'exécuter l'année suivante 1693, mais on l'a mal construit et très mal situé sur le penchant d'un plateau entouré de hautes montagnes d'où on plonge et enfile dans toute l'étendue de ce fort. Feu M. le Maréchal de Vauban fut en Dauphiné en 1700 pour faire des projets. Il trouva Fenestrelles si mauvais qu'il fut dans le dessein d'écrire à la cour pour le faire démolir, mais comme on y avait déjà dépensé plus de deux cent mille livres, il fit un projet pour fortifier toutes les montagnes qui l'environnent et par ce moyen on le conservait comme une place d'armes qui ne pouvoit se soutenir que par les ajustements qu'on devoit y faire. Toutes les places du Dauphiné ont presque ce même défaut, il n'y a que le Mont-Dauphin qu'on peut mettre au rang des bonnes places.
    J'ai ouï dire à M. le Maréchal de Tessé que le roy de Sardaigne l'avait assuré que s'il n'avoit pas été malade de la petite vérole après la reddition d'Embrun, son projet estoit de renvoyer son artillerie par les vallées de Barcelonnette et de Stures (la Stura) par où on l'avoit fait venir et de s'en retourner en Piémont avec son armée passant à Gap, à Lesdiguières tomber dans la plaine de Grenoble, laissant la ville à une demi lieue, longeant la rivière d'Isère, laissant Barraux et Montmeillan sur sa gauche, passant ensuite à Moustier et au petit Saint-Bernard. Je ne crois pas que cela fut bien possible parce que M. le maréchal de Catinat qui estoit campé au camp de Palon au-dessus et vis-à-vis le Mont-Dauphin et le village de la Roche avec sa petite armée, lui auroit disputé le passage au défilé du pont de Lesdiguière où il pouvoit envoyer un gros corps d'infanterie sans que le roy de Sardaigne l'en eut pu empescher ayant une marche sur luy qu'il ne pouvait lui dérober, et le maître des crestes des montagnes pour y arriver.

P. Transcription Surdon et C. Rochas