Histoires vécues (hier)/Storie vissute (ieri)


Mémoire de Laurent Gally notaire d'Oulx


      En l'an 1515 environ la Saint-Jean-Baptiste les Suisses, ennemis de la couronne de France, sont venus jusques en Valcluson en sorte que toutes gens ont fuy estants si fort esbranlés que les uns fuyoint à Briançon les autres à Nevacbe autres à Embrun et d'autres encore plus loin mais par la grâce de Dieu ny eust aucun dommage en ce pays si non que les munitions et avitouaillement furent gastés par nous, les vins versés à terre et les bleds jettés dans la rivière de peur que les ennemis ne s'en saisissent pour demeurer dans le pays.
     De l'an 1542, et le 1er jour de septembre nous a visté notre Seigneur d'une sorte de fleaux que fust jadis tourmenté Pharaon, car du pays de Piedmont ou de la Romaigne sur la plebaine de monsieur le Prévost d'Oulx sont venus des locustes volants par l'air, et, en un instant, menoint un bruit que l'on les pouvoit ouyr de bien loin avant qu'elles arrivassent; vous eussiez dict que c'estoit un vent très impétueux, la multitude estoit si grande quelles offusquoint le soleil, sorte eussiez dict qu'il estoit tout malade et perdoit sa clairté. Les gens par les rues fort faschés par leur impétuosité estoint assaillies de tous costés; elles estoyent de la longueur et grosseur d'un doigt oreillier ayant les aisles quasi vertes comme escrites en grec et sembloint estre bridés comme chevaulx et ne se faut esbayr si le nombre estoit grand car en une pourtée j'en ay veu faire cinq en faisant leurs atz ; sembloint qu'il fust des ratz, elles mangèrent les bledz et termoys et beaucoup d'autres fruictz quy estoint encore aux finaiges les paisles tous furent consumés, les bledz sortantz de la terre, tant sorti tant mangé, de sorte que c'est chose digne de mémoire et Dieu voulust quil fust escript, les bledz estant mangés ne s'en peut cuillir en toute la paroisse pour payer les dismes, nous ignorons dont se peut venir si non ex ira Dei.
De l'an 1545 a esté donné charge à M. Guioti D'aller en cour pour faire limiter ou avaluer les ducatz a livrer et pour ce faire, a esté prosequé pour chasque ducat, six quatz pour ce à Valcluson, pour 600 ducat, à Oulx, pour 118 et tiers à Suzanne, pour 480, deçà la montaigne, plus lesdits d'Oulx aux dames de Salletes 120 ducatz moins tiers.
    Le 1er jour d'avril 1547, environ onze heures, le temps estoit clair le soleil apparust ayant un cercîe violet tout à l'entour et a duré l'espace de trois heures sur lequel signe l'on dict le Roy François est décédé auquel Dieu aye faict paix.
    Le 24 juin 1562 a esté brûlé l'abbaye d'Oulx par nos ennemis de Valcluson au grand détriment des pauvres. En l'an 1570 et le 14 avril les ennemis de la couronne de France sont venus de Valcluson estant conducteur le capitaine Colombin (1) et ont prins le chasteau d'Exiles une heure devant jour et estant entré sont retournés à la ville saccager pour avitouailher le dit chasteau. Le lendemain furent assiégés par gens du pays lesquels virillement les ont gardés, tellement les ont affamés, de sorte qu'ils ont mangé deux chevaux, et ayant encore quelque peu de bled l'ont pislé en des mortiers pour en faire du pain et le 27 dudit mois ont randu ledit chasteau car ilz n'eurent aucun secours sortant à bagues sauves, mais par le vouloir de Dieu quy ne vouloit que telle trahi- son peut prospérer, esveilla le cœur de nos gens quy leur ont donné dessus et les ont presque tous massacré, car ceux qui ne moururent de coutteau se jetterent en leau, c'estoit grand pitié.
    En l'an 1574, et le 24 juin, furent bruslés les esglises d'Oulx, Bardonesche, Sezanne et Champlas.
    L'an 1575, et le 2e jour de septembre, a esté assiégé le fort de St-Restaing que tenoit lors nos ennemis, le 8e du dit mois leur est venu un renfort de 1,200 hommes et l'avoint repoussé jusques en Chamoussière, donc y sont demeurés plus de 200 mortz sans les blessés.
    L'an 1577, environ le 1er ou 2 jours de may, aux Jouvenceaux dans l'estable de Jean Gros sont suscité des poussins quy ont chanté le mesme jour qu'ils sont eypellis.
    Le 12 septembre est sorti une comète quy se voyoit par tout le monde a ce qu'on relatoit, et a dure deux moys.
    Item a esté au pays de Berne une rivière toute en couleur de sang durant une heure et dimi


 LA GUERRE DE CHIRISOLLES.

    L'an 1544, le 14 jour d'avril, le 2ejour de Pasques environ dix heures de matin, fust la bataille de Chirisolles quy dura quatre heures, et les François ont mis a mort dix mille hommes et prins des pri- sonniers tant blesses que autres environ 2,500 sans le plus, le marquis Dalgoast (2) blessé, Caesar de Naples mort.
Item les François gagnèrent seize pièces d'artillerie de poudre et dix mille escus et toute la vitouaille et trouvèrent 4,000 cadenatz aprestés pour anchaisner les François et les mener en gallère le seigneur Dangin (3) pour le Roy.
    L'an 1575 le 25 de juillet, estdes parti M. dela Casette (4), et les compaignons d'Oulx conduit par le capitaine Besson (5), de Sezanne conduitz par Galleis, Monsieur de Sonas (6), conducteur de la cavalerie ont estés embouschés despuis la minuict jusques à deux heures après midy, lors les ennemis ont faict leur sortie et se sont jettés sur la plaine de Sestrière, et estantz descouvertz en moins de deux heures, y sont demeurés plus de 150 quy a esté pour leur arrivée.
    Le 5 avril 1580, les ennemis, par trahison, sont entrés dans Briançon deux heures devant jour et y ont demeuré jusques a l'huictième, le vendredy à heure de vespres et s'en sont sortis à bagues sauves; vray, est qu'ilz ne sont pas tous eschappés, cela fut cause qu'il y a heu de perdus de ceux qui ont faict la trahison, et des autres, plusieurs se sont mis à nager quy ne scavoint le mestier.
    Environ le mois de septembre, monsieur de La Cazette avec ses gens est allé en Queyras, quy par leur fragilité se sont randus a la religion, toutesfois avant qu'il soit sorti ont prononcés obéissance au Roy, et a esté fortifié le chasteau et avytouaillé pour le Roy.
    Du mesme temps a esté assiégé la Mure, par monsieur le duc du Mayne avec grand nombre de gens, par l'espace de deux mois à l'entour, qui par la grâce de Dieu ont lieu victoire. Vray est qu'il y a heu grand meurtre tant d'un costé que d'autre.
    Le 12 febvrier 1581, monsieur Desdiguières avec son armée, est venu à l'entour de Briançon pour taire ranger le Briançonnois, ce que ont taict ceux d& la Vallouyse, car ils se sont ranges à deux mille escus et on ne scalt les nombres ; l'on a fallu cuilhir deux hommes pour feu à envoyer à Briançon et y ont demeuré douze jours à noz despens.
    L'an 1578, s'est eslevé par le pays de France et Dauphiné, scavoir le tiers estat contre l'esglise et la noblesse, estant ledit tiers estat, si affoullé qu'il n'en pouvoit plus, toutesfois le mouvement n'a pas sorti comme on proposoit quia quod homines statuunt divina providentia vertat.
    En l'an 1585, environ le mois d'octobre, les hérectiques ont prins Embrun, et celuy despuis fortifié, tellement que de là ont assubjecti le pays de la val et autres circonvoysins, commç aussy le Monnestier à contribuer à monsieur Desdiguières leur conducteur grandes sommes de deniers, et par conséquent menaçoyent toujours venir deçà les montagnes parce que n'avions voulu contribuer à l'impost qu'ils nous vouloint imposer, tellement qu'en l'an 1576, environ le mois de may, a fallu cuillir des gens en ce pays pour garder sur le Montgenèvre, et se sont gardés là par- quelque temps jusqu'à ce qu'avons entendu nouvelles qu'il falloit aller aillieurs.
    En l'an 1587, et le 10e mars sont venus les hérétiques assaillir la garde à la barricade à l'impourveu, mais Dieu qui noblie jamais les siens esveilla lo cœur de certains soldatz, lesquelz inventèrent un moyen pour courir, faisant entendre aux capitaines que ceux du Montgenèvre avoient préparé munition à l'ennemy qui debvoit venir, et pour ce requirent ausditz capitaines leur permettre aller lever ladite munition et la convertir au proffict des fidèlles et ester les moyens à l'ennemy, laquelle chose leur fust accordée à la bonne heure, car estant despartis une trouppe pour aller prendre ledit butin ne furent sitost arrivés a la barricade, que voicy venir l'ennemi en grand force pour entrer, mais le Tout Puissant batailla tellement pour les catholiques, que non sans grand perte des ennemis repoulsés plusieurs mortz et blessés au très grand regret du sr Desdiguières, par le rapport de ceux qui ont ouy faire ses lamentations tant de la mort de monsieur de Saint-Jean son nepveu, ensevely dans l'esglise du Montgenèvre (7), que autres tant morts que blessés, sans qu'il en soit demeuré qu'un des catholiques.
    Despuis avons tenu garde ordinaire au lieu de Sezane, tant de gens de pays que Piedmontois toute L'année, plus ou moins, suivant, la néccessité quelque loys plus de 3,000 hommes, autres foys moins, ce neantmoins nonobstant les menées dudit Desdiguières ont résisté les catholiques jusques à l'automne que les montaignes se sont serrées, qui estoit fort ranspard, toutetffois n'a cessé la garde de deux hommes pour feu à la barricade.
    Dudit an et le jour de St-Etienne, sont allés les ennemis à Nevache et ont prins tous le bestail du pays et amené à Embrun avec trente-deux prisonniers, lesquelz sont la plus part mort dans la prison dudit Embrun, et arrivèrent audit lieu lors que le prestre disoit l'homélie de matines et à grand peine se peut sauver.
    Dudit an 1588, sont desparti du lieu d'Oulx pour aller a ia foire de Cosni en Piedmont, avec 16 muletz, scavoir : George Pelloux, Jean Pinatel, etc., lesquelz pour trop se fier de la promesse de ceux de Valcluson quy avoient promis loyauté à l'escarton d'Oulx, passèrent audict Cluson, et quand furent au-dessus du- Serre du boys, furent prins par certaine embuscade quy les amenèrent liés et troussés par divers lieux jusques auprès de Guilhestre, pour les amèner à Embrun, auquel lieu, par le moyen d'un petit couteau qu'ils eurent entre eux deux, couppèrent partie des cordes et puis défaict, le dit Casse quy estoit le premier, pousse celuy quy le conduisoit dans l'eau de la rivière et depuis prindrent à se sauver les uns ça, les autres là, la plus part nudz et en chemise parmi la neige toute la nuict, sauf ledit Pelloux, lequel pour estre quelque peu mal disposé ne pust échapper, et fust amène- audit Embrun auquel lieu a demeuré trois mois, et luy a cousté plus de huict vingt escus d'or; lesdits soldaz, furent conduictz d'Embrun par Jean Satre de Pragella, tant allant que venant.
    Le dit an a esté desmolly le faux bourg de Briançon.
    En l'an 1590, et le dimanche 15 juillet, Monsieur de la Cazette estant assez jouyeux sur le soir, fist passer le temps honnestement et joyeusement avec les filles et honnestes jusqu'à bien près unze heure de nuict, et lhors avoit des soldalz estrangers dans cette ville et d'autres dudict lieu estantz enrollés et soldés par ledit sieur de la Cazette ou bien par noble Henry de Ferrus (8). Il est advenu que ledit soir environ minuict ou un peu après et ne sçait l'heure, sont venus des hérétiques de Pragella quy, par trahison sont entrés dans le vergier dudict sieur de la Gazette, puis avec eschelles, montés à la gallerie et brisé les portes pendant que les autres guéttoint au devant de la grand porte, tellement que avant que faire autre bruict, ledit sieur de la Cazette a esté martirisé de vingt-deux coups de coutteau en son corps, et quoy qu'il aye pu l'aire est demeuré mort, et estant passé, se sont avancés les autres avec le pétard à la porte et a grandz coups d'hache l'ont brisé, sont entrés et tout pillé la maison tant or, argent, meubles que chevaulx
a plus vaillant de dix mille escus et ont prins prisonnier le sieur Laurens de Ferrus (9) et font conduit à Embrun, et n'ont laissé à mademoiselle ni à ses domestiques des robbes pour se vestir; de mesme ont mis le pétard à la porte ou habitoit Poncharra et l'ont tort saccagé, et il s'est sauvé en chemise sur un noyer avec noble Henry de Ferrus et Gabriel, beaufils d'Antoine Fradel.

(1) Nicolas Colombin, capitaine protestant, né à Grenoble en 1540, tué à l'entreprise devant Genève en 1602.
(2) Le marquis du Guast.
(3) Le comte d'Enghien.
(4) Voyez notre Notice sur le capitaine La Gazette, dans Le Dauphiné, nos des 7 et 14 août 1881.
(5) Hippolyte Besson, lieutenant général du prévôt des maréchaux en Dauphiné, mourut en 1596, laissant de Christine Peyron, un fils nommé Jean.
    Claude, frère d'Hippolyte, châtelain d'Oulx, curateur de Jean, remit à Christine Peyron sa mère, les meubles suivants, provenant de la succession de son père : « Pre- mier, ung pourpoint et chausses de buffetin garny de troys cervettes d'or avec les dobleures de futeyne blanc et les garnitures de tafetas jaune,
    Plus, a aussi confessé avoir reçu en garde dudit Me Besson, les autres meubles y aussy après, provenant de la dite hoyrie :
    Premièrement, une grande couverte de toile neufve, ayant une borderie noyre à l'entour, et au milieu, un escusson.
Item, une espée.
Item, deux arquebuses de guerre à serpentin.
Item, une autre arquebuse à rouet marquettée et sa clefz.
Item, trente-cinq des moingdres livres qui sont mentionnés en l'inventaire de l'hérytage dudict feu Besson.
Item, ung capochin de drap noyr garny de velloux et boutons.
Item, ung chapeau noyr garny de velloux avec sa crespe
Item, une demy pante de canevat, où est tracé et figuré l'ouvrage de layne noyre.
Item, la garnison d'un taboret en tapisserie a demy faict, le tout dans deux coffres fermant à clefz. (Minutes de Me Charbot, 1596, f° 150. Chambre des notaires de Grenoble.)
(6) Donat Gerbais, sr de Sonas, capitaine dauphinois, tué en 1602 à l'entreprise de Genève.
(7) Honoré de Castellane, sr de St-Jean, neveu de Lesdiguières, avait épousé, le 12 janvier 1555, Blanche de Castellane, de la branche de Salernes.
(8) Henri de Ferrus, sieur de la Cazette, fils de Georges et d'Eléonore Borrel.
(9) Laurent de Ferrus, seigneur de Neuvache, fils de Georges de Ferrus avait épousé Isabeau du Serre, fille d'Antoine Et de Marguerite de Bonne.